Samedi 5 Avril, à Paris, plus de 2500 manifestants se sont rassemblés place d’Italie. Ils ont appelé au boycott de la loi Duplomb, ré-autorisant l’utilisation d’insecticides, à l’occasion de la journée mondiale de la santé le 7 Avril.
Le soleil brille sur la place d’Italie à Paris, mais l’ambiance est loin d’être estivale. Une foule de manifestants, pancartes en mains, expriment leur colère face à une politique gouvernementale qu’ils jugent catastrophique pour l’environnement. Agriculteurs, scientifiques, médecins ou ONG leurs objectif est simple : stopper la volonté du gouvernement à réintroduire des pesticides menaçant la biodiversité. Parmi eux, Stéphen Kerckhove, directeur général de l’association “Agir pour l’Environnement”, dont le message est clair : « Nous devons sortir le gouvernement de sa léthargie écologique. »
Pourquoi manifester aujourd’hui ?
« Pour faire du bruit », lance-t-il avec fermeté. Stephen déplore : « Cela fait des mois que l’exécutif multiplie les reculs écologiques, particulièrement en matière agricole ». Parmi ces régressions, on retrouve la loi Duplomb, initiée par le Sénateur Républicain du même nom. Cette dernière permettrait de ré-autoriser l’épandage de pesticides tueurs d’abeilles appelés les néonicotinoïdes. En effet, en 2018, ces insecticides avaient été interdits car jugés particulièrement toxiques pour les insectes pollinisateurs, pourtant essentiels au maintien de la biodiversité.
En plus, d’une menace sur le vivant cette loi permettrait un épandage de ces substances à l’aide de drônes, une aberration technologique pour Stephen. « Si cette loi est adoptée, cela signifierait la réintroduction des pesticides tueurs d’abeilles », avertit-il pancarte en main, représentant une abeille le point levé. Une lutte essentielle lorsque l’on sait qu’en Chine plus de 80% des abeilles ont disparu, l’obligeant à polliniser ses plantes à la main. Selon Stephen, il est donc probable que l’Europe, si cette loi est acceptée, sera la prochaine victime de cette extinction de masse.
Une politique agricole en défaveur des petits paysans
Pour lui, il ne s’agit pas seulement de la santé de la planète, mais aussi de la survie des petits agriculteurs, prisonniers d’un système qui les pousse à dépendre des pesticides. « Il faut un plan Marshall pour l’agriculture, pour que les paysans puissent se réorienter vers des pratiques durables sans risquer leur survie économique.” Mais c’est sans compter sur le premier ministre actuel, François Bayrou, qui soutient des décisions favorables à l’industrie chimique et à l’agriculture productiviste.
Stephen dénonce notamment le transfert de la gestion des autorisations de pesticides. Depuis peu, ce n’est plus l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire, garante de la santé publique, qui gère les autorisations de pesticides sur le territoire Français, mais le Ministre de l’agriculture. Un ministère largement influencé par la FNSEA*, le principal syndicat agricole français. Ce dernier est connu pour favoriser largement les grands exploitants agricoles au détriment des paysans les plus précaires.
Toujours entourés d’une foule scandant “Pas de nature, pas de futur”, Stephen me confie le choix de ce militantisme, qui va au-delà des préoccupations environnementales :
Un militantisme né d’une histoire personnelle
“ Mon beau-père vivait à Morgon, en plein cœur du Beaujolais, entouré de vignes traitées massivement. Il est décédé d’un cancer. Pendant des années, nous nous sommes demandé si l’exposition constante aux pesticides avait joué un rôle dans sa maladie”. La santé des agriculteurs et habitants de ces zones rurales est donc une priorité pour cet activiste.
Le cortège se poursuit entre les pas déterminés des manifestants et les couleurs vives des drapeaux. Parmis eux, flotte le verdoyant drapeau d’extinction rebellion, entrecoupé par le jaune vif de celui de la confédaration paysanne. Sous ce soleil ardent, casquettes et chevelures argentées se mélangent. Une diversité générationnelle qui me permet de rencontrer Youena, 32 ans, future viticultrice en Bretagne.
Le changement climatique pousse au déménagement des cultures
Youena partage son enthousiasme quant à son nouveau projet de vie : “ Au départ, j’ai fait une formation en maraîchage biologique, mais j’ai été attirée par la vigne. Le travail est saisonnier comme on est sur de la monoculture. Le maraîchage c’est techniquement très dur et il n’y a pas de basse saison…”.
Connue pour ses élevages de porcs ou ses cultures céréalières, la Bretagne semble être la nouvelle terre propice au développement des vignes. Pour cette jeune viticultrice, qui incarne l’espoir d’une agriculture qui se réinvente, le changement climatique remodèle le paysage agricole Français : “Les cultures du Sud sont petit à petit en train de remonter vers le Nord de la France, tandis que celles du Nord se déplacent encore plus haut. C’est encourageant de me dire qu’au lieu de lutter contre un climat qui ne convient plus à certaines cultures, nous choisissons de nous adapter. »
Le choix du cépage hybrides : une alternative à l’utilisation des pesticides
« Une vigne ça tombe malade très vite », explique Youena. Certes l’utilisation des pesticides pourrait permettre de lutter contre ces maladies mais c’est impensable pour cette Bretonne, qui préfère le choix d’un cépage dit “hybride”. Ce sont des variétés conçues pour être plus résistantes aux maladies.
Parmi les cépages qu’elle a choisis, on retrouve le Rayon d’Or et le Souvigné Gris, particulièrement résistants au mildiou et à l’oïdium, les deux principales maladies qui frappent les cultures bretonnes. C’est toujours avec optimisme que Youena explique : “Je préfère partir sur des cépages qui ont été sélectionnés sur leur résistance plus que sur leurs vertus aromatiques. Les goûts changent, évoluent. Le cuivre, lui, ne disparaîtra jamais du sol.”
En effet, la saison dernière a été catastrophique pour les vignerons victimes du dérèglement climatique. Nombre d’entre eux ont usé de pesticides afin de maintenir leurs maigres récoltes, dont le cuivre, un métal lourd nuisible à la santé des sols. « Le cuivre reste dans le sol, il ne part jamais, et l’année dernière, j’ai vu des vignes ravagées par ce traitement pour pratiquement aucun fruit. On pollue nos terres pour rien. » Une réflexion qui a poussé Youena à s’orienter vers des solutions plus durables et plus respectueuses de l’environnement.
Banderole lors de la manifestation “Un printemps bruyant”, 5 Avril 2025, Paris
Le rythme influencé par la batucada en tête de cortège continue d’orchestrer la foule. Après une heure de marche, la place Breteuil se dessine. Youena, me confie « En France, on est encore trop attachés à nos cépages traditionnels alors qu’on sait que ce modèle est en train de s’essouffler. C’est un peu comme une résistance au changement, une peur de déroger à la tradition. » En effet, lorsque l’on sait que la France reste le premier exportateur mondial, en détenant 29% des parts du marché, on comprend pourquoi certains vignerons usent de pesticides pour répondre à cette demande internationale.
Pourtant, le besoin de s’adapter au changement climatique est plus urgent que jamais. « Les cépages hybrides adaptés aux nouvelles conditions climatiques, sont l’une des réponses possibles. C’est un pari, mais c’est un pari que je suis prête à prendre. » confie-t-elle.
La réalité économique est un frein au profit d’une agriculture raisonnée
Mais cette jeune viticultrice ne porte pas de jugement sur les agriculteurs utilisant encore des pesticides. « Souvent, ils sont pris dans un modèle où ils ne peuvent pas vraiment sortir, entre l’héritage familial et les pressions économiques », observe-t-elle. « Passer en bio, c’est possible, mais il ne suffit pas d’en avoir l’envie. Il faut être prêt à travailler beaucoup plus, et pour certains, cela peut signifier une baisse de rentabilité. » Comme par exemple dans la production laitière, où les marges sont déjà étroites, le passage à l’agriculture biologique semblerait être un choix totalement déraisonnée.
Une génération porteuse de projet innovant : la permaculture
“La dépendance aux intrants et le rendement agricole, est la façon dont on a pensé l’agriculture”. Mais pour Youena, la permaculture est “clairement une solution pour demain ». Ces fermes autonomes qui ont leur propre écosystème : “que ce soit en termes d’énergie, d’eau ou de force de travail, elles permettent de se passer de nombreux intrants chimiques et autres pesticides. Et surtout, elles respectent les travailleurs. » En effet, la gestion du travail y est souvent collective, permettant des périodes de repos, là où l’agriculture intensive laisse peu de place au répit.
En tout cas, parmi cette foule aux milles et unes couleurs, le message semble unanime : sans une politique gouvernementale adéquate, l’avenir de notre reste planète en jeu.
FNSEA* : Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles
Gwennan LE MOIGNE
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